Cet article met en évidence la tension qui traverse les pensées de l’esthétique de l’existence de Foucault et de Deleuze entre, d’une part, la conception d’une subjectivité révolutionnaire qui a pour ambition de reconfigurer les rapports de forces et, d’autre part, une forme de subjectivité qui se crée en se mettant à l’abri des rapports de pouvoir et des contraintes. Nous montrerons ici que cette oscillation est chronologiquement inversée chez chacun de ces auteurs. Au tournant des années quatre-vingts, alors que Foucault délaisse sa généalogie du pouvoir au profit d’une esthétique de l’existence, Deleuze, revenant à une écriture solitaire, à l’occasion de son ouvrage sur Foucault, développe une pensée du sujet éthique formalisant son existence en plissant le « Dehors » constitué par le réseau des rapports de pouvoir. Inexpugnable au creux de sa boucle, le sujet est pourtant traversé par les vibrations du monde qui lui transmettent des informations concernant les formes prises par le pouvoir, à l’extérieur. Ce sont ces informations qui, décryptées, lui permettront de reployer incessamment le Dehors et de reformer constamment la boucle, au fil des reconfigurations des diagrammes de pouvoir. Ainsi s’informe, se déforme, se reforme, mais jamais ne se conforme cette subjectivité mutante et inachevée. L’espace de liberté ne se situe plus à l’extrémité d’une ligne de fuite mais, cette fois-ci, dans le creux de la boucle formée par une ligne qui s’est pliée.