Ce chapitre s’efforce d’identifier quelques étapes importantes susceptibles d’éclairer les raisons de l’oubli du concept de bonheur en économie jusqu’à une période récente marquée par le développement de l’économie du bonheur. Il part d’un constat : à la fin du 18ème siècle, deux contributions importantes abordaient des thématiques qui seront constitutives de l’économie du bonheur du 20ème siècle : celle d’Adam Smith (1723-1790) d’un côté et celle de Jeremy Bentham (1748-1832) de l’autre – deux auteurs que les économistes contemporains du bonheur considèrent très souvent comme des précurseurs. On montre que ces deux auteurs proposent une réflexion originale sur les liens entre richesse et bonheur qui fait appel aux interactions sociales et dont l’originalité principale réside dans l’accent placé sur les conséquences des jugements d’autrui sur le bonheur de l’individu. Mais ces deux contributions ont été par la suite totalement oubliées. Il s’agit alors d’en comprendre les raisons, en reprenant et en analysant les débats suscités par les conceptions du bonheur adoptées par les économistes britanniques de la seconde moitié du 19ème siècle qui ont – parfois explicitement – revendiqué un héritage benthamien (Jevons, Edgeworth et Pigou). C’est en effet au terme de ces débats que toute référence de nature morale ou psychologique disparaîtra finalement du champ de l’économie pendant près d’un siècle.