Le but, dans cette intervention, serait d'interroger le rapport entre fiction et construction d'un concept. Pour ce faire, on partira de la définition de l'utopie proposée par Musil dans son roman intitulé L'Homme sans qualités : " l'utopie est une expérience dans laquelle on observe la modification possible d'un élément et les conséquences que cette modification entraînerait dans ce phénomène complexe que nous appelons la vie ". Au premier abord, il s'agit là d'étendre l'expérience dans le domaine du possible, de sorte que l'utopie s'apparente à une expérimentation mentale ou une expérience de pensée. À l'aide de remarques de Wittgenstein, on montrera, premièrement, qu'il est impropre d'utiliser le concept d'expérimentation ou d'expérience pour décrire ce que nous faisons et que nous appelons " expérience de pensée ". Ce que l'on appelle ainsi est en réalité le développement d'une supposition, que l'on doit comparer bien davantage à un calcul qu'à une expérimentation. On montrera, deuxièmement, que ce développement d'une supposition peut être compris comme la construction d'un concept. De ce point de vue, on esquissera une comparaison entre ce type de construction qu'est l'utopie définie par Musil et certaines constructions proposées par Wittgenstein, qui relèvent de " l'élaboration de concepts fictifs ". On terminera alors sur la question de l'usage de ces concepts fictifs, c'est-à-dire de ces concepts inventés dans l'utopie ou dans la pratique philosophique : que peut-on attendre de telles inventions ? Quel usage peut-on faire de concepts qui ne sont ni nécessaires ni même réels, au sens de déjà en usage, mais seulement possibles ?